Brianna - Ca te dit une course de caddie ?

Arrivé à Burlington depuis seulement trois jours, je n’ai pas fait grand-chose d’autre que de regarder la télévision et de passer du temps avec mon père – et sa nouvelle femme. J’ai rencontré mes demi-sœurs également, vu qu’apparemment, je dors dans l’ancienne chambre de l’une d’entre elles. Tout le monde a l’air plutôt sympa, même si je pense que j’aurais du mal à me faire une véritable place. C’est comme ça quand on arrive comme un cheveu sur la soupe, de manière quelque peu précipitée. Oui, je suis arrivé sans vraiment dire à mon père que je venais vivre chez lui en fait. C’était un peu comme une surprise, partant surtout d’un coup de tête… Un message en arrivant de l’aéroport et le tour était joué…

Enfin bref… Autant vous dire qu’à force de tourner en rond depuis trois jours, j’ai pris la décision de sortir faire un tour dans le quartier. J’ai marché un peu au hasard au départ, et même ensuite. J’ai suivi les vibrations, le bruit des gosses qui crient en cette période de vacances scolaires. J’ai vu un skate parc qui m’a donné envie d’y faire un tour, mais j’ai gardé l’idée pour plus tard. Et puis, je suis tombé devant un petit supermarché et un peu plus loin, des caddies rangés sur un parking, devant une habitation. Ni une, ni deux, une folle idée me traverse l’esprit. J’ai clairement envie de m’amuser et c’est l’occasion de voir si les habitants de Burlington savent s’amuser. Je prends la première personne que je vois sur mon passage et je cours presque vers elle. « Excuses-moi. Ca te dit de faire une course de caddie ? »

Il/Elle risque de me prendre pour un fou mais j’ai l’habitude de donner cette impression aux gens et autant dire que je me fiche royalement de ce qu’on peut penser de moi. Si cette personne n’est pas d’accord, alors j’irais voir la suivante, ou encore la suivante et au bout d’un moment, il y aura bien quelqu’un d’assez fun pour dire oui.

J’ouvre de grands yeux. Pour tout dire, j’étais persuadé que la jeune femme allait m’envoyer bouler et surtout me prendre pour un fou, mais vu que ce n’est pas le cas, autant en profiter non ? Je le regarde enlever ses chaussures, ce qui ne manque pas de me faire lâcher un petit rire. « Au panneau stop là-bas ?! » Il y en a un que je distingue environ à 200 mètres de nous. Je me précipite vers l’endroit où sont les caddies mais forcément, faut qu’ils soient bloqués à l’aide d’une petite chainette. « Et merde… » Je grommèle pour moi-même. « T’as pas une pièce par hasard ? » J’avoue que je suis parti sans rien prendre alors forcément, je me retrouve un peu comme un idiot. Comme si j’avais pu prévoir que j’aurais envie de faire une course de caddie… « Parce que forcément, ils ont réenclenché les chaines… » Je prends un air blasé. J’ai juste envie d’avoir du fun… Pourquoi est-ce qu’on m’en empêche ? « Je m’appelle Topaz au fait et avant que tu demandes… Non, je n’ai rien d’un cristal, et je ne suis pas du genre fragile non plus. » Un peu arrogant le garçon, se dira-t-elle peut-être mais en attendant, on m’a fait tellement de mauvaises blagues et de questions sur mon prénom au cours de ma vie que maintenant, j’anticipe !

J’ouvre de grands yeux. Je ne suis peut-être pas le plus clean des mecs, à toujours avec des idées plus saugrenues les unes que les autres, mais je n’ai jamais utilisé la technique de la dame. En même temps, je ne me balade pas avec des pinces à cheveux, vous imaginez bien ! « Pas mal ! J’avoue que je suis impressionné. » J’hoche la tête de haut en bas avec une moue qui confirme mes propos. « Je ne pensais pas qu’une épingle à cheveux pouvait servir à ça. » Je me mets à rire doucement avant de me présenter. « Ridicule ? Mouais, ça me va pas si mal comme qualificatif. » Je suis un homme intelligent, j’aurais pu continuer mes études, finir chirurgien, avocat ou peu importe quel métier glorifiant mais je m’en fous de tout ça… Je préfère donner l’illusion que je ne suis qu’un mec lambda, quelqu’un qui n’a rien de plus qu’un autre, un peu paumé à la limite. Ca me va très bien comme ça, qu’on me prenne parfois pour un rigolo, ou pour un mec à côté de la plaque. Je n’essaye pas d’impressionner les gens avec de grandes théories. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas quand ils le font non plus… « J’sais pas d’où mes parents ont eu cette idée… Mais bon en tout cas, j’suis habitué aux blagues sur mon prénom donc… » J’hausse les épaules. Je préfère autant qu’elle n’en fasse pas. On rigolera bien mieux avec une course de caddie qu’avec des blagues débiles. J’en prends un d’ailleurs, parmi les deux qu’elle a décroché et je m’avance sur la route. Heureusement, elle est déserte et il n’y a pas de passage. Je m’élance bientôt en courant et une vingtaine de mètres plus loin, je me retourne vers ma coéquipière avec un énorme sourire. « Partez ! » Et je saute dans le caddie roulant. Je suis un brin tricheur sur les bords, avec cette petite longueur d’avance, mais c’est pour plaisanter.

Je me demande ce qu’elle entend par mauvais pas. Je serais bien curieux qu’elle me raconte toutes ses aventures dans lesquelles une épingle à cheveux a pu lui servir. Je suis persuadé que je n’en reviendrais pas puisque déjà, l’utilisation pour le caddie ne m’était jamais venue à l’esprit. Lorsqu’on dit que le sexe féminin est le plus malin, c’est qu’il y a des raisons. « Faudra m’en dire plus un de ces jours ! » Je me mets à rire, ce genre de rire léger, simple, qui vient du cœur lorsqu’on est heureux. Oui, je suis naturellement heureux alors dès qu’une petite anecdote vient égayer ma journée, celle-ci est prise à cœur. « C’est dommage, vous devriez, ça fait pas de mal au moral. Et les plus courtes blagues sont souvent les meilleures. » J’hausse les épaules avec un grand sourire. J’ai toujours fait la différence entre les blagues et moqueries. L’un est sympathique et l’autre tout simplement méchant. Et puis, je me lance sans prévenir, petit tricheur que je suis, sauf que cela n’empêche pas Brianna de me dépasser avant la fin. « Punaise, mais je gagne tout le temps d’habitude ! » Je fis une fois arrivé au stop. Bon, la vérité c’est que je n’ai pas une énorme expérience dans le domaine mais bon. « Va falloir que je m’entraine ! » J’ajoute dans un grand sourire avant de lui tendre ma main, fairplay, dans le but de la féliciter pour sa victoire. « Moi qui croyait que les Burlingtonniens ne savaient pas s’amuser, me voilà rassuré. » Il n’y a qu’à voir ma demi-sœur, toujours en train de râler dès que je lui propose un truc fun…

La femme m’avoue une partie de ma vie qui m’étonne. A la voir aujourd’hui, elle ne semble pas avoir connu la galère. De visuel, elle a l’air plutôt épanoui, peut-être un brin folle à accepter une course de caddie avec un inconnu, mais pas plus que je ne le suis moi-même. J’émets un rictus contrarié pendant quelques secondes. « Vous savez que je ne sais même pas quels sont les quartiers pauvres et les quartiers riches de la ville ? » J’essaye de dédramatiser le truc à ma manière. « J’suis désolé pour votre passé. J’dois dire que je n’ai rien vécu de tel alors je ne pourrais pas comprendre. » La séparation de mes parents, c’est sans doute ce qui était le pire d’un œil extérieur mais moi, je l’ai bien vécu. Je profitais des cadeaux en double, des vacances en double… C’était cool de mon point de vue, même si certains amis de parents divorcés également n’avaient pas le même son de cloche à donner. Je prends mon caddie et le tourne en sens inverse, commençant à marcher pour remonter la cote. Une revanche ou bien les remettre à sa place ? J’hésite encore. « Comment vous avez fait pour sortir de tout ça, si c’est pas trop indiscret. »