« La cuisine, c’est comme l’amour, on y pénètre avec abandon ou pas du tout » - Harriet Van Horne
Mars 2016En cette période d’hiver, c’était idéal pour les restaurants de tester les différents menus qui variaient selon les saisons. Cette période était également connue pour être celle de la chasse. Pas la chasse en extérieur, détrompez vous. Celle pour les voraces de critiques gastronomiques qui évaluent les menus dans divers lieux. En fait, il s’agit d’un gros moment de pression pour le milieu de la restauration qui craint de se faire descendre en flèche. Tout ne tient qu’à un jugement au final et malheureusement, ce choix s’avère quelque peu subjectif.
Anton était arrivé en début d’année à Burlington, il était chef étoilé connu en Italie, avait travaillé depuis 2014 dans un grand restaurant gastronomique en Australie mais lui, à présent avait un autre rêve. Un rêve plus simple, une envie de pratiquer la cuisine toujours avec beaucoup de respect des produits en privilégiant la qualité mais surtout, en enlevant ce côté luxueux ou prestigieux qui aboutissait à des prix un peu trop élevés. En voyant des gens d’autres catégories sociales, des gens même dans la rue…. Anton avait réalisé qu’il serait enclin à pratiquer la cuisine autrement. Il s’agissait d’un projet qui le taraudait depuis un moment.
Toujours est-il qu’en raison de son CV, il avait rapidement trouvé un poste dans les cuisines de ce restaurant semi-gastronomique de Burlington et il semblerait que la cuisine dans laquelle il mettait beaucoup de passion et de travail permettait d’emmener de nouveaux clients curieux ou d’en fidéliser d’autres. Le restaurant tournait bien et ce soir, il y avait cette fameuse rumeur selon laquelle un ou une critique gastronomique devait se rendre sur place pour noter le restaurant ainsi que la cuisine bien entendu.
Tout le personnel du restaurant ainsi que les commis et autres s’étaient activés comme dans une fourmilière avant le service du soir afin que tout soit impeccable que ça soit en cuisine ou en salle. Tout était calculé, millimétré et rien ne devait leur échapper ce soir. Lors du coup de feu qui fut lancé, tout était bien sûr prêt en cuisine Anton était entouré d’une bonne équipe prête à se donner à 200%. Cependant, il y avait aussi des nouveaux dans l’équipe des serveurs notamment un qui semblait nerveux à l’idée qu’un ou une critique se montrerait ce soir même sous le nom d’un invité ou une invitée mystère.
Ce serveur d’ailleurs n’hésitait pas à raconter en cuisine ce qu’il voyait en salle et il avait émis la possibilité selon laquelle un homme âge moyen bien vêtu, brun aux yeux bleus était avec de fortes probabilités le fameux critique. Ceci n’échappa pas à d’autres personnes en cuisine qui s’agglutinèrent pour essayer de voir par une vitre de la porte, pas très grande et un peu floutée, cet homme tant attendu. Difficile à voir d’autant plus que l’ensemble de la salle ne pouvait pas être visible depuis la cuisine, il fallait pointer son nez dehors.
Le serveur revint donc pour passer la commande: une bisque de crevettes. Sitôt dit, sitôt fait. Anton s’occupa des échalotes et gousses d’ail pendant qu’un commis s’occupait de décortiquer les crevettes. Anton s’occupa de tout le reste et ajouta même une petite pointe de romarin au final. C’était comme ‘la touche qui fait la différence’. Ce n’était pas prévu dans la recette classique mais il arrivait au grand brun italien d’ajouter un peu de sa personnalité dans un plat. Qu’il s’agisse d’ingrédient supplémentaire ou de présentation. Voire autre chose.
Tous étaient quand même tendus en cuisine, occupés à satisfaire tous les clients qui occupaient presque toutes les tables du restaurant ce soir là. Tout le monde était légèrement stressé. Le serveur qui déambulait un peu ahuri n’entendait pas Anton qui l’appelait pour envoyer la bisque. Il dut donc siffler
« Eh, faut te réveiller Gino là, les plats ne se transportent pas seuls jusqu’aux clients. Allez ! ». Il fallait que le rythme suive la préparation et que tout soit parfait.
Avec un pas décidé, le serveur alla apporter le plat au client qui mettait tout le monde sans-dessus-dessous. Il revint évidemment en cuisine puis faisait les cents pas.
« Est-ce qu’il a commandé autre chose pour la suite ? ». Le serveur n’entendait toujours rien, un peu dans sa bulle. Sa boule de nerf plutôt.
« Gino ! ». Anton du reposer la question. Le serveur réalisa qu’il n’avait absolument pas la réponse. Il hésita avant d’aller déranger le client dans sa dégustation mais alla le voir malgré tout.
Gino se racla la gorge en arrivant auprès du brun assis à table.
« Est-ce que tout se passe bien Monsieur ? Veuillez m’excuser, j’aimerais savoir si autre chose vous ferait plaisir par la suite…. ».